C'est un véritable ballet qui anime les quais du port à cette heure de la journée. Le soleil commence progressivement à disparaître derrière l'horizon pendant que les dockers s'animent pour décharger les derniers bateaux afin de rentrer chez eux, retrouver leur famille. Pour moi, ce n'est que le début de ma nuit de travail. Dissimulé entre deux hangars de stockage, j'attends patiemment que le bord de mer se vide, que les bateaux des pêcheurs s'immobilisent et que les travailleurs partent se reposer en attendant le lendemain. J'observe cette chorégraphie dans l'ombre, je note mentalement ce qui pourrait m'être utile : l'emplacement de chaque embarcation, l'heure de départ du dernier ouvrier, le nom des navires, ce qui est camouflé derrière chaque porte d'entrepôt qui s'ouvre... J'écoute aussi, traduisant les bribes de conversation que je perçois. Les nationalités sont nombreuses sur le port, le travail est pénible et dangereux alors il n'y a que des classes ouvrières. Je ne comprends pas tout mais je reconnais ma langue natale, du chinois aussi, un peu d'espagnole et quelques accents nordiques qui se souhaitent une bonne soirée dans un anglais hésitant. J'aime cette diversité, elle est propre à cette ville et apporte une grande richesse de culture. Dommage qu'Eden piétine cette diversité.
Quand le soleil disparaît entièrement derrière l'horizon, laissant finalement sa place à la nuit, je suis perclus de crampes, le corps entièrement douloureux d'être resté debout, dans mon recoin, sans bouger pendant presque trois heures. Après un long silence, m'assurant que je suis seul, je m'extirpe de ma cachette pour m'étirer et je respire enfin, savourant le semblant de fraîcheur qu'offre la tombée de la nuit. Un coup d'oeil autour de moi confirme qu'il n'y a plus personne et qu'il est temps d'aller chercher ce pourquoi je suis initialement venu. Je me mets en route, avançant dans les ombres des bâtiments, longeant les murs et évitant les sources de lumière. Une habitude même si je suis seul. Je me faufile jusqu'à l'arrière du hangar numéro 13, abritant normalement, si mes sources sont exactes, du matériel de recherche, tout ce dont les grands laboratoires ont besoin pour avancer dans leurs expérimentations dans l'espoir de sauver l'humanité. D'ici qu'ils y arrivent, on sera mort. Enfin. Je constate sans surprise qu'un cadenas me ferme l'accès au local. Rien de plus simple. Je tire de mes cheveux la barrette qui empêchait ma mèche de me tomber sur les yeux - oui, ils sont beaucoup trop longs - et il ne me faut que quelques secondes pour venir à bout du problème. Tout se déroule comme prévu. Un peu trop bien d'ailleurs. Et oui... Je suis tellement concentré sur mon objectif que je n'entends pas les pas derrière moi.
« Plus qu'à trouver ce plan et tu rentres chez toi, aller Jin... »