I'm no prophet or messiah, should go looking somewhere higher | Woo Jin Lee

Séoul, Capitale de la Corée du Sud, immense métropole où les gratte-ciel modernes, les métros high-tech et la culture pop côtoient les temples bouddhistes, les palais et les marchés de rue. C'est dans les sombres ruelles des bas quartiers de cette vaste cité que je suis né et que j'ai aussitôt été abandonné. Une mère qui se prostitue et un père américain, disparu, probablement rentré dans son pays avant le début de la guerre, voilà tout ce que je sais de mes géniteurs.  


Ma famille c'est les orphelins. Depuis que la guerre a éclaté, nous sommes de plus en plus nombreux. La nourriture manque, les soins aussi. Alors, j'ai commencé à me débrouiller seul. Faire la manche ne paye pas, les temps sont durs pour tout le monde. Voler est plus rapide, plus facile. C'est mal mais c'est une question de survie. J'apprends en observant, je ne suis pas le seul à dépouiller les passants les plus aisés. La patience est la clé et la dextérité me vient avec la pratique. Dérober de l'argent, subtiliser des bijoux ou rafler des montres devient un jeu. Un jeu pour lequel je suis doué.


L'orphelinat n'existe plus, la guerre ravage tout et tout le monde. Dans la rue, les coréens ne parlent que de cette ville, encore et encore. Eden. Une utopie, un havre de paix à l'abri des combats, des bombes et des morts-vivants qui marchent sur les capitales et sèment la mort. Les convois qui mènent à la cité sont peu nombreux et toujours pris d'assaut. Il n'y a pas de « les femmes et les enfants d'abord ». Non, ici, les places sont réservées à l'élite et leur famille : hommes politiques, personnalités influentes, célébrités et millionnaires du pays. Mais l'homme est cupide et il ne m'est pas difficile de convaincre un soldat, moyennant toutes mes économies, de me laisser monter à bord de l'un des convois. Je découvre que désormais, la vie a un prix.


La vie sur Eden n'est pas bien différente de celle à Séoul si ce n'est que les poches sont mieux garnies. Sans papiers, il m'est impossible de chercher du travail au risque de retourner d'où je viens, ou pire. Alors, j'ai repris mes habitudes, avec encore moins de scrupules qu'avant. Il faut dire que les rues commerciales de la ville grouillent de vieux riches avares et engourdis. Le jackpot. Trois années sans aucune difficulté jusqu'à ce jour. Le 21 février 2090. Leah MacGrath. Une femme influente, connue sur Eden pour avoir fait fortune, l'image même de la réussite. Je l'aurais reconnue si je suivais l'actualité de la ville mais mon sens de l'observation m'a trompé. Ou plutôt, cette femme est maître dans l'art du faux-semblant et je suis tombé dans le piège.



Même si la nuit est tombée, la chaleur est étouffante. Je frissonne en me hâtant de retrouver ma bienfaitrice. L'est-elle réellement ? Après notre rencontre, plutôt que de me faire expulser de la ville, la femme a préféré m'embaucher. Devenir passeur en échange d'une identité sur Eden et d'un salaire. Une opportunité pensez-vous ? Sur le papier cela y ressemble mais la réalité est aujourd'hui bien différente. Ma vie ne m'appartient plus, elle est sienne.


Dix ans déjà. Je longe un mur dans l'obscurité, suivi d'un homme. Je l'entends marmonner des prières dans une langue arabe. Je me moque, c'est absurde. Son dieu n'existe pas sinon ce pauvre homme ne serait pas en train de me suivre, au milieu de la nuit, dans un passage souterrain mal éclairé par la faible lumière de ma lampe torche. Dix ans déjà. Je le connais par coeur, ce passage. Lui et de nombreux autres. Le goût du risque donne de la saveur à mon travail, semblable à celui que j'avais lorsque je volais. « Kkachi ». Je me retourne en entendant l'homme murmurer mon nom et lui fait signe d'avancer. Bientôt, nous serons dans la ville, bientôt, cet homme sera citoyen d'Eden.