Zohey - Fuck the system

Zohey appuya sur une touche de son vieux téléphone, et sourit quand sa tête d'il y a dix ans apparut.

"Yoooo !

Salut téléphone, j'm'appelle Zohey, j'suis ta nouvelle propriétaire ! Et ta seule, parce que j'achète pas reconditionné moi, y'a que les pauvres qui le font. Bref, j'ai décidé de faire une espèce de vlog, mais que pour moi. Et là, c'est le premier jour !

Bon j'vais commencer par me présenter hein, que tu sache à qui t'a affaire ! Je suis Zohey Saev, la fille du plus grand scientifique du monde et de la femme d'affaire la plus riche des Etats-Unis ! Bon, c'est pas tout à fait vrai, mais c'est ce qu'ils veulent que je crois. Bref, j'ai 14 ans, j'les ai eus hier. Et tante Stacy m'a offert ce magnifique téléphone ! C'est le plus récent modèle, je l'adore !

Ah, au fait, je suis super intelligente. J'ai eu mon diplôme du lycée cette année, je suis la plus jeune de ma classe ! Et j'ai été admise à Harvard. Je suis tellement contente, t'imagine même pas ! Ma mère voulait que j'aille à Yale, parce que c'est là que mes parents se sont rencontrés, mais je voulais aller à Harvard comme tante Stacy.

Bon, j'te laisse pour ce soir, faut que j'aille manger. A demain !"

La fillette sur l'écran paraissait tellement innocente ! Tellement de choses avaient changés depuis son anniversaire des 14 ans ... Zohey sourit, avant de swiper vers une autre vidéo.

"Yo p'tit tel !

Bon désolée j'suis pas maquillée, j'ai pas eu le temps. T'imagines même pas ce qu'il s'est passé ... Déjà, j'ai 15 ans. Ca fait déjà un an que je t'ai. Et en un an, y'a tellement de trucs qui ont changés ! Je vis à Eden, maintenant. C'est une nouvelle ville, qui a été créée y'a pas longtemps. Mes parents et Stacy ont participé à la création, du coup on a le droit d'y vivre maintenant. Surtout que mon père peut soigner à peu près n'importe quoi.

Je suis des cours d'Harvard par correspondance depuis un an maintenant. J'étudie les virus, et j'adore ça. J'adore apprendre. Mais je me sens un peu seule ici, il n'y a pas beaucoup d'enfants. Et mes parents ne me prêtent aucune attention, ils sont trop occupés soit à travailler, soit à se taper dessus. Heureusement qu'il y a Stacy ! Elle est toujours là pour moi, n'importe quand.

Ola, mes parents sont encore en train de se hurler dessus. Je ferais bien de ranger mon téléphone et de travailler, sinon j'vais me faire frapper.

Salut téléphone !"

Le regard de Zohey s'était fait glacé. Ses parents ... Elle ne leur portait aucune affection. Ils ne l'avaient jamais traitée comme une enfant, uniquement comme une future pompe à fric. Elle était intelligente, ils avaient poussé à fond cette qualité, en l'isolant des autres pour qu'elle n'ait aucune distraction, en ne lui permettant presque aucun loisirs, en la culpabilisant lorsqu'elle ne pouvait pas travailler.

Comme l'a dit mini-Zohey, heureusement que Stacy était là. Stacy était la sœur de sa mère, et avait les mêmes yeux bleus que Lynn, mais c'était tout ce qu'elles avaient en commun. Là où Stacy était joyeuse et chaleureuse, Lynn était glaciale et mesquine. Les seuls souvenirs heureux de Zohey étaient avec sa tante.

"Téléphone !

J'ai un truc super important à te dire, j'ai pas beaucoup de temps. Comme je te l'ai dit hier, j'ai 18 ans, et j'ai essayé de sortir d'Eden. C'était hier. J'ai été arrêtée par des flics, mais j'ai fait semblant d'être complètement torchée, et ils m'ont ramenée chez moi sans m'engueuler plus que ça. Mes parents, par contre, se sont lâchés. J'ai encore mal de partout. Mais je me suis décidée. Je vais partir ! Je sais, je sais, c'est dangereux dehors, y'a la guerre tout ça. Mais je suis débrouillarde ! Et j'ai des amis qui vont venir avec moi. Louis et Marceau, ce sont deux étudiants comme moi. Bon, ils sont vachement plus âgés, Louis a 25 ans et Marceau 28, mais ils sont cool. Et ils sont déjà sortis ! Ils ont eu aucun problème, askip quand t'a des relations dans la police ça aide.

Bref, demain, on a rendez-vous au parc, j'ai dit à mes parents que c'était un groupe d'étude. Mais en vérité, c'est juste notre point de départ. J'ai tellement hâte ! Y'a que Stacy qui est au courant, je voulais pas qu'elle s'inquiète. Elle a réagit bizarrement, tu sais. Je crois qu'elle n'aime pas Louis.

Je suis en train de faire mon sac, je te laisse, je dois vite le finir et le cacher pour pas que les parents s'en rendent compte.

Je frétille d'impatience ! Bien entendu, je t'emmène avec moi, et tu assistera à tout en direct ! "

Secouant la tête, Zohey enleva ses cheveux verts pomme de ses yeux. Qu'est-ce qu'elle pouvait être innocente ! La mini-elle n'avait pas idée des ennuis dans lesquels elle allait se fourrer. Zohey avait presque envie de remonter le temps pour aller se mettre en garde. Stacy avait raison de ne pas aimer Louis, au final. Il s'est avéré que Marceau et lui était des espèces de trafiquants d'êtres humains. Ils avaient essayé de la vendre à d'anciens soldats, qui comptaient l'utiliser comme objet sexuel. Elle avait eu la peur de sa vie. Elle se souvient d'avoir couru à toutes jambes, tentant d'échapper à ces fous, mais elle s'était perdue. Elle était tombée sur une femme, Adélaïde, qui l'avait aidée à rejoindre Eden saine et sauve.

"Téléphone, my god, t'imagine même pas ce qu'il s'est passé !

Oups désolée, j'oublie la politesse. Bonjour, comment tu vas ? Argh c'est idiot, tu m'répondra pas de toute façon. Bref, je viens d'entendre parler d'une menace qui aurait été créée par les Russes. Askip, les zombies existent maintenant. Trop cool !

Mais j'ai entendu ma mère dit au téléphone que c'était mauvais, que les euh krunchnitv allaient tout manger sur leur passage, et que l'humanité allait s'éteindre. Enfin, sauf nous, parce qu'Eden est ultra protégée. Mais tu sais quoi ? Je crois qu'Eden est plus protégée contre les autres humains, les pauvres qui n'ont pas les moyens de se payer une place ici, que contre des zombies.

Je sais, avant, je pensais que les pauvres l'étaient parce qu'ils avaient pas assez travaillé à l'école. Mais, aujourd'hui, je me dit que même s'ils ont pas bien travaillé, ils ne méritent pas d'être bouffés vivants. Quand j'ai dit ça à table, hier, mon père s'est énervé. Résultat, j'ai un énorme bleu, là, sur la joue. Tu le vois ? Je me suis prise une bouteille dans la tête. C'est pour ça toutes les coupures aussi.

Bref, j'ai discuté avec Stacy après, pendant qu'elle me soignait, et elle m'a dit que j'étais pas la seule à penser que les pauvres ne doivent pas mourir. Mais mes parents font partie de ceux qui sont prêts à tout pour garder leurs privilèges, même à tuer ou à condamner des innocents.

Merde, j'entends ma mère qui arrive. Faut vite que j'arrête de filmer, si elle apprends que je dis tout ça à un téléphone qui peut être piraté, j'vais me faire tuer. A plus !"

La Zohey adulte, face à son téléphone, soupira. Elle ne se souvenait que trop bien de ce jour-là. La violence de ses parents avait commencé à se faire plus insidieuse, par le biais de remarques, sur son corps, sur sa personnalité. Mais ils la frappaient toujours autant. Aujourd'hui, elle ne comprenait pas comment elle avait fait pour rester aussi souriante, détendue. Elle swipa à nouveau vers une autre vidéo.

"Salut toi !

Je sais, ça fait longtemps que je ne t'ai pas parlé. Mais, pour ma défense, j'ai eu plein de trucs à faire. Si tu veux, je peux te résumer ce qu'il s'est passé depuis la dernière fois que je me suis filmée.

Déjà, j'ai eu mon diplôme. J'ai eu les meilleures notes de la promo, même si j'étais la plus jeune. Comme on pouvait s'y attendre, mes parents ne m'ont pas félicitée. C'est à peine s'ils m'ont lâché un regard. Mais Stacy, elle, m'a organisée une petite fête. C'était cool !

Maintenant, je travaille à Eden, en virologie. Enfin, plus précisément, je travaille sur les Kontvykh. J'étudie leurs méthodes de transmission, pour éventuellement créer un vaccin. Et, en parallèle, j'aide des réfugiés à entrer à Eden. Mais ça, c'est secret. C'est en suivant Stacy que j'ai compris qu'on pouvait agir, même si on était enfermées dans notre tour d'ivoire. Quand Stacy a compris que je la suivait, elle a essayé de me dissuader de venir avec elle, parce que soit disant c'est super dangereux. Mais j'ai voulu aider.

Maintenant, je fais partie de son groupe de "résistants", et on va régulièrement aux remparts pour faire passer des gens. On a faillit se faire tuer plusieurs fois, mais je t'avoue que j'adore ça.

Je suis contente de pouvoir agir, enfin, concrètement. Pouvoir aider ces gens qui se font tuer dehors, ça me procure une sensation de bien-être incroyable. Et je fais toujours en sorte de donner de l'argent à ceux qu'on fait entrer, pour ne pas qu'ils se retrouvent sans rien. J'en gagne trop, de toute manière, je ne sais plus quoi faire avec. Alors autant qu'il aille à des personnes qui en ont besoin.

Bref, j'arrête là, j'ai des amis qui doivent venir ce soir et je ne suis pas encore prête.

J'essayerais de revenir plus souvent, ça m'avait manqué !

Ciao !"

C'était la dernière vidéo. Zohey hocha la tête, perdue dans ses pensées, avant d'éteindre l'appareil et de le ranger sous le faux plancher, à côté de son lit. En soupirant, elle posa ses coudes sur ses genoux, et sa tête dans ses mains. Aujourd'hui, Zohey avait grandit, Zohey avait mûri. Un peu trop, même. Elle avait compris que ce système était pourri jusqu'à la moelle, elle avait vu des gens pauvres utilisés comme rats de laboratoire, elle avait vu certains de ses collègues rire d'eux. De leur malheur. Comme s'ils n'étaient pas humains.

Elle avait du mal avec cette idée, d'exploiter les pauvres, même si c'était pour "le plus grand bien". Alors, elle avait décidé de saboter le système de l'intérieur. Elle avait injecté une de ses créations dans le café d'un de ses collègues, pour voir ses réactions. Petit à petit, elle s'était radicalisée. Action par action, elle en venait à utiliser ses propres collègues pour ses expériences. Bien entendu, elle était discrète. Elle ne laissait aucune trace. Une des personnes qui travaillait avec elle a été contaminée par le virus. Comme par hasard. Et bizarrement, cette personne avait torturé des rats de laboratoire humains pendant des jours. Comme le hasard faisait bien les choses.

Et elle ne comptait pas s'arrêter là. Elle comptait contaminer tous ceux qui permettaient à ce système de continuer d'exister. Malheureusement pour elle, après la contamination de son premier collègue, la sécurité avait été renforcée. Elle ne pouvait pas continuer dans l'immédiat sans se faire attraper. Mais elle avait des plans. Elle avait soigneusement observé ses collègues, et établit une liste de ceux qui devaient mourir. Elle était prête à frapper, dès qu'elle en aurait l'occasion.

Le seul qu'elle ne pouvait se résoudre à éliminer, c'est lui. Lui et ses yeux verts, ses mains d'ange. Lui et son rire enfantin, lui et son sourire digne du diable lui-même. Lui, elle comptait bien l'épouser, un jour. Bon, il n'était pas encore au courant, mais ça, ce n'était qu'un détail.